22 Mar Le Figaro le 15/02/2011: Braquage des commerçants : comment vaincre l’insécurité
Olivier Torres, président d’Amrok, l’observatoire de la santé des commerçants et artisans, et chercheur associé à EMLyon Business School, estime que les commerçants doivent bénéficier d’une politique de prévention face aux agressions criminelles.
«Chaque jour, des commerçants se font braquer, parfois dans des conditions particulièrement violentes. Certains braquages peuvent aller jusqu’à causer la mort, ici du commerçant, là d’un client, parfois du braqueur lui-même ou dans certains cas, des forces de police qui viennent s’interposer. Les bijouteries sont si exposées que leurs fédérations organisent régulièrement des séances d’information sur le sujet. Tous les commerces sont susceptibles de faire l’objet d’un braquage, même les épiceries. C’est un des risques majeurs du métier de commerçant.
Si ces évènements dramatiques sont largement médiatisés, comme l’ont été notamment les braquages des bijoutiers lyonnais, ils le sont systématiquement sous l’angle de la sécurité. Cette vision exclusivement sécuritaire du braquage cache une autre dimension aussi importante et totalement délaissée : celle de la santé. Si le braquage est un acte criminel, il doit aussi être considéré comme un acte traumatique qui peut mettre en péril durablement la santé du commerçant agressé.
Les effets sur la santé sont souvent ravageurs : insomnie, nervosité, état dépressif, ulcère…. Cet oubli a des conséquences en termes de prévention.
De manière générale, les politiques de prévention en matière de braquage se déclinent en deux dimensions : la prévention primaire concerne les actions destinées à éviter le braquage. On trouve à ce niveau toutes les politiques de sécurisation des lieux de travail afin de dissuader les braqueurs. La prévention secondaire concerne, quant à elle, les actions d’anticipation permettant de mieux faire face à l’évènement comme par exemple des réunions de sécurité avec témoignages ou exercices de simulations. Ces politiques sont toutefois insuffisantes car elles négligent le volet tertiaire de la prévention. Ce sont les actions destinées à diminuer les conséquences du braquage lorsque celui-ci a eu lieu. C’est à ce stade de prévention que l’on s’occupe de la santé de la victime et c’est précisément à ce niveau que les dispositifs sont inexistants.
Une politique de prévention complète repose donc sur trois piliers : l’évitement, la préparation et le soin. Les banques font cela depuis longtemps. La sécurisation des agences a progressé, des exercices sont organisés régulièrement et lorsqu’un salarié se fait braquer, il est immédiatement en arrêt de travail, on lui propose l’aide d’un psychothérapeute et il peut changer d’agence.
Mais quand un commerçant indépendant se fait braquer, que se passe-t-il ? Rien ou presque. S’il n’a pas été violenté, il rouvre le lendemain. Il ne consulte pas un psychothérapeute – ce n’est pas dans sa mentalité – et il ne peut changer de lieu de travail, il n’en a qu’un. Il n’a pas d’autres choix que de revenir sur les lieux de sa propre agression !
Pourquoi une telle inégalité des politiques de prévention face au même phénomène ?
Les raisons tiennent avant tout au comportement du commerçant dont le premier réflexe est de se sécuriser tout seul, en équipant son lieu de travail avec des systèmes de caméras et d’alarmes, allant parfois jusqu’à porter une arme sur lui. Ce réflexe d’autodéfense correspond à son état d’esprit indépendant mais répond à l’insécurité par une autre insécurité, celle du commerçant excédé qui se révolte et commet l’irréparable en tuant l’agresseur. En quelques secondes, le commerçant passe du statut de victime à celui de criminel. Même en cas de légitime défense, comment peut-on se remettre d’une telle situation ?
Laisser un commerçant souffrir en silence à la suite d’un braquage n’est pas une fatalité mais un problème réel qui impose d’agir. Notre société est focalisée sur le seul aspect sécuritaire et en oublie l’aspect santé. Il ne serait pourtant pas compliqué de mettre en place un telle prévention, en suscitant les collaborations avec les CCI et les chambres des métiers, les services locaux de santé au travail et les associations d’aide aux victimes. Tout est là, à portée de main. Il suffit de relier. La maturité d’une société n’est-elle pas de créer ce type de solidarité organique ?»