19 Déc Courrier Cadre le 28/10/2009: Les patrons aussi se suicident
Source : http://www.courriercadres.com/content/stress-les-patrons-aussi-se-suicident
Aucune statistique n’existant jusqu’à présent sur le taux de suicide des patrons, un chercheur en gestion de l’Université de Montpellier va lancer un observatoire baptisé Amarok dont le but sera de mesurer les conditions de travail et la résistance au stress des dirigeants de PME. Pour garantir son indépendance, Amarok ne recevra aucun subside d’organisations patronales.
Se pencher sur la souffrance des patrons ? On entend à l’avance les ricanements des nombreux salariés qui travaillent eux aussi dans une pression constante. Sans parler des syndicalistes. Et pourtant, la démarche mérite qu’on s’y arrête. Car de quels patrons s’agit-il ? Avec l’arrivée de la crise économique, les PME ont été en effet frappées de plein fouet dans leur activité. Baisse des commandes, des banquiers qui sermonnent d’un côté, les menaces sur l’emploi de l’autre… les sources de stress ne manquent pas. Olivier Torres, également chercheur-associé à l’EM-Lyon, aime rappeler que ce monde-là, celui des petites et moyennes sociétés, n’a rien à voir avec celui des grands groupes français. Cela fait quinze ans qu’il travaille sur le management dans les PME et se définit comme un « PMIste ». On ne se suicide jamais à la tête des grandes entreprises françaises mais chez les dirigeants de petites entreprises, si. Ces drames, bien souvent rapportés dans les pages « Faits-divers » de la presse quotidienne régionale, passent plutôt inaperçus.
Une tribune qui fait mouche
En janvier 2009 (voir en fin d’article), le chercheur a fait paraître une tribune dans Le Monde : « L’inaudible souffrance patronale » (j’avais mis « et inavouable » mais cela ne tenait pas, précise-t-il). Un point de vue qui a connu un certain retentissement. Selon lui, les spécialistes de la santé au travail sont focalisés sur la souffrance salariale. Il écrit aussi : « La souffrance patronale est inaudible car les « souffrologues » sont sourds à cette population, qu’ils tendent plutôt à diaboliser. » Elle n’est en tout cas pas négligeable : il y a en France 2,8 millions de PME.
Olivier Torres revient aussi dans sa tribune sur les suicides des dirigeants des chantiers navals Gamelin * et de Access International Advisors, société qui a subi les dommages collatéraux de l’affaire Madoff. Point commun entre ces deux patrons : « ils ont été tous les deux floués par la finance, écrit-il alors et tous deux n’ont pas supporté l’anéantissement de leur entreprise. On peut également évoquer le cas de Pierre Jallatte, fondateur de l’entreprise Jallatte (336 salariés) qui produit des chaussures de sécurité depuis 1947. Celle-ci, propriété depuis 2005 d’un consortium de banques anglo-saxonnes, est menacée de délocalisation vers la Tunisie. Le fondateur s’est suicidé en 2007, à l’âge de 88 ans, car il voulu « partir avant de voir mourir [son] entreprise. » A l’époque, un ancien directeur de production accuse : « Ce sont les actionnaires qui ont tué Pierre Jallatte, ce sont des assassins ! »
Une indépendance à garantir
Prolixe chercheur, de nombreuses publications à son actif, Olivier Torres assure que, contrairement à ce qu’indiquait un article du Midi Libre du 18 octobre, il n’a pas reçu l’imprimatur du Medef. « J’ai consulté Laurence Parisot mais pour l’informer de mon projet, indique-t-il. Mais je tiens à laisser Amarok en dehors de tout contrôle par une organisation patronale, fut-elle la CGPME ou l’UPA. » Dans un premier temps, Amarok va démarrer grâce au concours financier de Bruno Rousset, patron de l’assureur lyonnais April. L’observatoire nécessitera un budget d’un million d’euros sur cinq ans. Le chercheur dit enfin bénéficier du soutien d’un grand professeur de médecine et éminent spécialiste de la santé au travail. Et veut travailler vite pour amener Amarok à produire ses premières enquêtes pour juin 2010.