29 Juil L’Entreprise le 05/2010: La Santé du dirigeant, premier capital de la PME
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La Santé du dirigeant, premier capital de la PME
Maladie, burn-out, suicide…
Olivier Torrès vient de créer Amarok, l’observatoire de la santé des patrons. Une initiative très attendue. Ce maître de conférences en management des PME à l’EM Lyon et à l’université Montpellier-III aime à se définir comme un « PMiste ». Il est, en effet, l’un des rares chercheurs en France à
Quel est l’objectif d’Amarok ?
Olivier Torrès : Nous avons plus de statistiques sur la santé des baleines bleues que sur la santé des dirigeants de TPE et PME ! Il n’y a aucune obligation pour les indépendants de se présenter à la médecine du travail. En général, ils n’y vont pas. Ils préfèrent consulter leur médecin généraliste. D’où l’intérêt d’Amarok. Cet observatoire a été créé en janvier 2010 et dispose d’un bureau à Euromédecine, près des locaux de la médecine du travail de Montpellier.
En octobre 2010, nous présenterons un rapport sur la santé des patrons. Il sera réalisé à partir du questionnaire que nous lançons dès à présent pour recueillir les témoignages anonymes de 1 000 chefs d’entreprise, identifiés en collaboration avec les CCI, les chambres de métiers, le CJD (Centre des jeunes dirigeants)… Ce sera une première en France ! Par ailleurs, trois doctorantes travaillent à l’Amarok sur le burn-out (l’épuisement professionnel) et l’impact des problèmes financiers sur la santé du dirigeant.
La santé est-elle un sujet tabou dans l’entreprise ?
O.T. : En général, les chefs d’entreprise n’aiment pas parler de leurs problèmes de santé. Cela correspond à l’idéologie de notre époque qui fait l’apologie du leadership. Il faut être un battant, un gagnant qui éponge le stress de ses salariés. Cette posture narcissique de l’homme fort – ou de la femme forte – interdit toute forme de verbalisation de la souffrance. Le patron de PME est représenté comme celui qui domine ses salariés. Par voie de conséquence, il n’a pas droit à la souffrance. Le phénomène est amplifié par le fait qu’il y a des spécialistes de la souffrance des salariés, mais les cas d’étude concernent les employés des grandes entreprises.
D’un côté, nous avons des experts de la souffrance au travail qui sont sourds et, de l’autre, nous avons des chefs d’entreprise qui sont muets. Je suis le premier chercheur à avoir osé parler de la « souffrance patronale » et des journaux comme Libération ou L’Humanité n’ont pas hésité à m’interviewer.
Est-ce un signe de bonne santé de s’intéresser… à sa propre santé ?
O.T. : C’est un élément déterminant des bonnes pratiques de management. Un chef d’entreprise qui se préoccupe de sa santé sera attentif à celle de ses salariés et à leur bien-être. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi le mot inuit amarok. Il signifie qu’une société doit protéger ceux qui la font vivre ; en l’occurrence les patrons des petites et moyennes entreprises. Rappelons qu’en France 97,6 % des entreprises sont des PME. Elles représentent deux emplois sur trois et contribuent à 60 % du PIB. Le capital santé du dirigeant est le premier capital immatériel de la PME. S’il tombe malade, c’est une catastrophe.
Ne minimise-t-on pas l’impact de la crise sur la santé des chefs d’entreprise ?
O.T. : Indéniablement. La crise est anxiogène pour les salariés, les cadres, les dirigeants. Les patrons de PME n’y échappent pas. Il y a davantage d’épuisement professionnel, de dépressions, voire de suicides chez les petits patrons. C’est la théorie des trois « D » : dépression, dépôt de bilan, divorce. A cela, le futur président du CJD, Michel Meunier, ajoute un quatrième « D » : le décès. Des drames se nouent dans l’anonymat le plus consternant. Un salarié met fin à ses jours à France Télécom, les médias en parlent.
Mais, quand un artisan se suicide, le journal local y consacre quelques lignes. A Frontignan, il y a quatre mois, un artisan électricien envoie sa femme négocier avec le banquier. Elle revient, elle le retrouve pendu. Ce drame a fait dix lignes dans le Midi libre. C’est considéré comme un fait divers alors que c’est un fait de société. A la fin de 2008, avant de se suicider, Joël Gamelin, patron des chantiers navals éponymes, a laissé sur son bureau ce mot révélateur : « Pardonnez-moi de ne pas avoir su sauver l’entreprise. » Si sa fille n’avait pas fait de buzz, les journaux n’en auraient pas fait écho.
Quelles sont vos préconisations pour garder une bonne santé physique ?
O.T. : Je donnerai six conseils en matière d’hygiène de vie. Le premier, faire du sport. C’est un formidable antidote contre le stress. Au minimum, deux fois trois quarts d’heure par semaine. Deuxièmement : faire attention aux repas d’affaires ! Pourquoi ne pas dire « je bois de l’eau » ? On voit l’arrivée des diététiciens dans les entreprises, c’est une bonne chose. Troisièmement, le sommeil se gère. C’est le patron qui décide d’avoir un rendez-vous à 7 heures du matin ou de rallumer son ordinateur à 1 heure du matin. Le TGV de 5 h 40, il peut l’éviter… avant d’avoir un gros pépin de santé. Mon quatrième conseil, savoir déléguer pour sortir le nez du guidon.
Le cinquième, s’accorder des pauses dans la journée et dans l’année. Programmer des loisirs en semaine et partir en vacances. Enfin, le sixième, avoir une vie spirituelle. Il ne s’agit pas de croire en Dieu, mais d’avoir la conviction de servir une cause. Bill Gates, un patron charismatique, était mû par l’idée de changer le monde. Cela lui a plutôt bien réussi. Vous connaissez cette allégorie ? Trois hommes portent une pierre. A qui l’interroge, le premier dit « je transporte une pierre », le deuxième déclare « je construis un mur » et le troisième répond « je construis une cathédrale ». La motivation du troisième donne du sens à son labeur.
Et s’agissant de la santé mentale ?
O.T. : Hélas, le chef d’entreprise vit souvent dans une grande solitude. Même se détendre avec des collaborateurs lui est difficile, car il révèle une part de lui-même. En revanche, il peut adhérer à des réseaux patronaux. Laurence Parisot avec « la PME attitude » l’a bien compris. Si un chef d’entreprise peut dire à un autre « il faut que je licencie », son homologue lui répondra « as-tu envoyé la lettre recommandée ? Sinon tu vas te prendre un prud’hommes ». Et il se sentira déjà moins seul. Enfin, je crois énormément aux vertus du coaching. Un homme épaulé par un coach en vaut deux.
Selon vous, licencier dans une PME c’est comme tuer avec une arme blanche. Pourquoi ?
O.T. : Contrairement au PDG d’un grand groupe qui demande au DRH d’exécuter un plan social, un patron de PME ne peut pas déléguer sa décision. Cette situation est traumatisante pour le licencié, mais aussi pour le « licencieur ». La proximité qui lie le chef d’entreprise et le salarié licencié rend l’opération émotionnellement vive. Tuer à l’arme blanche est éminemment plus difficile que tuer au fusil.
Allez-vous envoyer votre rapport au Premier ministre ?
O.T. : Oui, c’est une très bonne idée. Lorsque les journalistes ont demandé à François Fillon « qu’est-ce qui est le plus dur pour vous, votre mal au dos ou travailler avec Sarkozy ? », il a répondu que tout allait bien avec Sarkozy et qu’il ne parlerait pas de hernie discale car, compte tenu de sa position, ce serait indécent. Une telle réponse déshumanise le pouvoir. Une fois de plus, nous avons l’image d’un homme au pouvoir surnaturel !
Vos autres champs de recherche ?
O.T. : Le braquage des commerçants ! Je vais faire avec la CCI de Montpellier la première étude sur la mesure du stress chez des commerçants qui ont vécu un hold-up. Nous avons identifié une vingtaine de commerçants prêts à témoigner. En général, ils vivent ce traumatisme dans la plus grande solitude. A la différence des salariés de La Poste ou de ceux d’une banque qui sont pris en charge par un psychothérapeute et peuvent changer de site. L’objectif est de mettre en place en France le premier service de psychothérapie des commerçants braqués. Pas de doute que d’autres CCI seront intéressées par un dispositif similaire.